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LEUT
Construction d'un pointu à voile latine en Dalmatie
Construction de la coque
Basée sur les nombreuses discussions que nous avons eues sur l'usage et les qualités attendues du bateau, une demi-maquette au 1:10 de la coque est réalisée. Elle permet au constructeur de s'assurer avec l'oeil et la main que le bateau va intégrer usage, forme et beauté.
A partir de la maquette, un tableau des dimensions permet de dessiner un premier plan au 1:10, puis le plan en grandeur réelle reporté sur la table de découpe des gabarits.
A chaque étape, l'oeil et la main du maître apportent de légères corrections qui vont faire tendre le tout vers la perfection.
Ici, la découpe des gabarits est affinée à la lime.
Les gabarits permettent d'abord de choisir les meilleurs emplacements sur les plateaux de bois en fonction des exigences mécaniques de la pièce concernée. C'est là que vont s'exprimer toutes les qualités du bois.
Ensuite, les gabarits vont guider le constructeur dans la découpe des pièces, qui se complique par l'angle de sciage, qu'il gère à main levée, concentré sur la représentation spatiale qu'il se fait de chaque élément.
La quille et l'étrave reposent sur un socle fixant l'angle que la coque aura dans l'eau. Ainsi, au fur et à mesure de la mise en place des membrures, le maître pourra juger de la forme de la coque comme si elle était posée sur l'eau.
Certaines pièces, ici un renfort de l'étrave, sont taillées dans des troncs présentant déjà la courbure voulue.
Pièce après pièce, patiemment, la coque prend forme, révélant les dimensions du bateau. On est frappé par l'élégance des membrures et par la complexité de certaines pièces de l'étrave et de l'étambot. De l'ensemble se dégagent une force souple, une harmonie des formes et une certitude de qualité tranquille. L'oeuvre et la façon de travailler du maître charpentier de marine forcent le respect et l'admiration.
Finalement, la coque est formée 27 membrures, dont 4 à l'avant et 3 à l'arrière dessinent le pincement typique du pointu. Ces dernières sont formées de deux ou trois pièces et elles s'appuyent respectivement sur le massif d'étrave et sur le massif d'étambot et sont tenues en place par des gabarits qui seront ensuite enlevés. Entre les deux, 20 membrures, chacune composée d'une varangue, de deux allonges de fond et de deux allonges de haut, déterminent le volume de la coque.
Toutes ces membrures sont un peu plus allongées que planifié. Il s'agit maintenant de les couper au niveau du livet, soit la ligne qui fait la jointure entre le pont et la coque. L'esthétique du bateau dépend beaucoup de cette ligne (crvadura). Elle marque la tonture, souligne la hauteur de la proue et de la poupe sur l'eau et dessine la courbe qui court de l'une à l'autre. C'est d'une part cette ligne et d'autre part l'équilibre des volumes qui, ensemble, définissent l'élégance du leut.
La pose du premier bordé, la préceinte, plus épais que les suivants, demande beaucoup d'efforts, même s'il a été étuvé pour l'assouplir avant le cintrage.
Le constructeur, qui travaille seul le reste du temps, compte sur l'aide de ses fils pour des moments comme celui-ci.
Le constructeur pose un liston souple sur les membrures là où les plans prévoient le livet. Et ensuite ça se discute longuement, en procédant aux ajustements souhaités, avec la difficulté que dans l'atelier on n'a pas le recul nécessaire pour pouvoir bien juger. Ce n'est qu'une fois sur l'eau que la silhouette révélera la justesse des choix faits dans l'étroitesse du chantier.
Tout le bordage, que ce soit celui de la coque ou celui du pont, va suivre les courbes définies par les membrures et les barrots et sera soumis à cette contrainte par la force des serre-joints. La plupart des assemblages sont renforcés et protégés par un encolage avec des produits modernes (époxy et polyuréthane), qui assurent solidité et étanchéité, avant de procéder à la pose des clous.
Deux lisses lient les membrures sur leur faces intérieures. Ce sont, en haut, la serre-bauquière et, à mi-chemin entre la quille et l'extrémité des membrures, la serre de bouchain (ou d'empâture).
Maître charpentier de marine et fin navigateur. Le dimanche, dans le peloton de tête de la grande régate locale à la voile latine, avec près de cent participants et toutes les coques sont en bois.
La coque présente maintenant sa forme définitive et son volume. Les quatre paires de bittes d'amarrage sont posées.
On voit sur la photo de la régate ces "bollards" et comment ils sont utilisés.
L'ossature qui soutient le pont est faite de barrots transversaux dont la courbure définit le bouge du pont. Ce bouge sert à évacuer l'eau du pont et va soutenir le pont sous la charge, sans piliers au-dessous. Le bouge ne doit cependant pas être trop marqué, pour éviter de rendre la circulation sur le pont malaisée.
Sur les côtés des ouvertures réservées aux cabines, les barrotins viennent s'accrocher aux élongis par des assemblages découpés au ciseau.
Après la pose de supports pour les extrémités des bordés de pont, à l'avant et à l'arrière, le plat-bord de pont achève d'enserrer les têtes des membrures: l'ossature est maintenant entièrement rigidifiée.
Anchor 1
La fargue (mrtva banda) est un élément fonctionnel et visuel distinctif majeur du leut. Un bateau sans fargue sera plutôt un leutić s'il est doté d'un éperon ou plus fondamentalement, une gajeta.
Sur un leut, cette fargue de peu de hauteur, mais de largeur significative, court sur toute la longueur du livet de pont, s'effaçant avec élégance au niveau de l'étrave et de l'étambot.
Elle a la double utilité de limiter la quantité d'eau embarquée sur le pont par mer formée et de retenir le matériel et les navigateurs de passer par-dessus bord en toute circonstance. C'est là que le pied trouve appui lorsque le bateau s'incline devant les forces de la nature.
La fargue est construite sur des jambettes (štili) qui traversent le plat-bord de pont. Elle est constituée de trois virures qui l'enrobent: à l'extérieur une virure (centulin) ouverte par des dalots (manikule) qui permettent l'évacuation de l'eau, dessus une virure horizontale (kuvertela) de belle largeur et à l'intérieur une virure (kontracentulin) ouverte en continu sur le pont.
Cette fargue délimite solidement l'espace sur le pont. Contrairement aux bateaux modernes, le leut n'a pas de cockpit. Il se vit et se navigue sur le pont, la cabine étant réservée au repos. La fargue prend donc toute sa signification à l'usage.
L'ouverture réservée à la cabine est entourée d'hiloires, sur lesquelles on posait jadis de simples capots, et aujourd'hui on y fixe le rouf de la cabine.
La solidité et l'étanchéité de la cabine dépendront de la bienfacture de ce cadre massif, qui joint le rouf au pont.
Sur les barrots, les lames de mélèze qui vont former le pont sont posées comme un bordage étanche qui supportera toutes les charges. Une fine rainure facilitera le calfatage et l'épaisseur des bordés assure la solidité. Le mélèze résiste mieux que le chêne à l'exposition au soleil.
La première lame à côté de la cabine s'y applique parfaitement et court de l'arrière à l'avant en une seule pièce
Les bordés de pont sont cloués sur les barrots. Chaque tête de clou est noyée et recouverte d'un bouchon de bois collé.
Le leut est un bateau entièrement ponté. Les ouvertures correspondent, de l'arrière à l'avant, à la cabine de pilotage, à la cabine et, avec le capot, à la baille à mouillage.
Le pont est à la fois un plancher et un toit.
Il doit être assez solide pour supporter les charges auxquelles il sera soumis. Et ça peut être des passagers avec leurs bagages, embarqués pour rejoindre un gîte sur une île ou, à l'automne, la récolte des olives, et souhaitons qu'elle soit abondante.
Comme toiture, le pont sera étanche à la pluie et aux embruns, mais aussi aux paquets de mer levés par les vagues d'une route surprise par des airs fraîchissants.
On passe maintenant au bordage de la coque. Les bordés sont en chêne. Ils seront répartis pour que chacun présente la même largeur au niveau du maître-bau, mais ils s'affineront ou s'élargiront vers l' avant et l'arrière, pour garder l'aspect du parallélisme.
Avant tout, il faut parer les membrures de telle manière que leur surface extérieure s'applique parfaitement au bordé.
Aucun jeu n'est toléré entre les membres et les bordés. Cette intransigeance assure la fluidité de la courbe du bordé sur toute sa longueur, sans creux ni bosse.
Après que la forme du bordé ait été relevée par brochetage sur un chablon, ce dernier sert à choisir l'emplacement dans un plateau où le bordé sera découpé, chaque fois en deux exemplaires, un pour babord et l'autre pour tribord.
Chaque bordé est soigneusement raboté sur le plat et sur la tranche, avec un biais pour la fente de calfatage. La face intérieure est creusée à l'herminette pour s'ajuster à la courbure de la membrure.
Le ployage à l'avant et à l'arrière est facilité par un étuvage préalable.
Chaque virure (longueur de bordage) est faite de deux bordés dont les abouts sont décalés à chaque rangée.
Les bordés sont appliqués par des serre-joints, à la fois contre la membrure et contre la virure déjà placée.
Puis fixés avec des clous dont la tête sera noyée. Plus de 2000 clous seront nécessaires au bordage de la coque.
Il faut profiter de ce que la coque n'est pas encore fermée pour percer l'étambot à l'endroit où l'arbre d'hélice le traversera.
Un simple gabarit, un bon coup d'oeil et une main sûre concourrent à la précision du perçage.
La pose des bordés commence par le haut le long de la préceinte jusqu'au milieu de la hauteur. Un chanfrein souligne les virures, affinant la forme et l'aspect de la coque.
Pendant que la quille est bien accessible, elle est entaillée pour recevoir la semelle, qui la protège et qu'on pourra facilement remplacer si on l'abîme en touchant le fond, souvent rocheux, à la suite d'une imprudente évaluation de la hauteur d'eau.
La pose du bordage reprend par le bas, avec la mise en place du galbord, première virure à partir de la quille. Son chant inférieur suit la quille en s'insérant dans une rainure, la râblure. Son chant supérieur remonte vers l'étrave et vers l'étambot pour rejoindre la ligne des virures qui s'appliquent au-dessus.
Le galbord est ployé dans toutes les directions et sa mise en place demande beaucoup de vigueur.
La dernière virure est placée dans le dernier espace libre. Cette clore prend le nom de "brageta", qui est aussi celui de la fête qui célèbre la fin de la construction de la coque.
Mais avant les festivités, la coque est encore entièrement calfatée. Un cordon de coton est poussé dans la couture en V entre les virures. Il ne ressort pas de l'autre côté, car à l'intérieur les bordés sont parfaitement jointifs.
Et voici la fête, "brageta", qui réunit quelques amis et parents autour du constructeur et de son oeuvre, pour célébrer l'achèvement de cette première étape des travaux.
Vidéo
Cette vidéo regroupe en une suite d'images animées toutes les photos prises sous un même angle à intervalles réguliers pendant la construction de la coque.
Le Musée de la construction navale en bois à Betina est l'auteur de cette présentation, qui y est projetée en permanence.
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